Réflexions nées durant et après le stage de Bernard Palmier le 29 octobre 2005 à Nivelles
Passionnante journée que celle qu’à une fois de plus proposé Bernard Palmier à l’occasion du stage réservé aux « gradés » de la fédération à Nivelles.
Poursuivant l’objectif de mettre des mots, donner du sens à la pratique et ainsi de stimuler l’imagination des participants, les stages de Bernard Palmier sont de véritables séminaires de réflexion qui colorent notre progression aïki.
D’aucuns diront qu’en aïki les mots sont inutiles, que seule la pratique compte – comme si l’un empêchait l’autre. Ce serait négliger l’importance de notre pensée sur nos activités. Le sens que nous donnons aux choses que nous faisons influence considérablement comment nous les faisons. La pratique de l’aïkido n’échappe pas à la règle.
Bernard Palmier a posé une question particulièrement pertinente: « Quand prend-on plaisir en pratiquant l’aïkido ? »
Qui, de l’enseignant du club qui donne cours, du maître de stage qui s’est levé un dimanche à 7 heures pour traverser la Wallonie, du futur shodan qui révise fébrilement ses techniques avant l’examen fédéral, du pratiquant lors de son 200ème stage (sa carte de stage faisant foi) ou du débutant qui s’emmêle les pinceaux peut dire qu’il prend plaisir à pratiquer?
Quand est-ce que vous, vous prenez plaisir à pratiquer l’aïkido ?
La réponse à cette question permettrait sans doute d’éviter que de nombreux débutants abandonnent les dojos prématurément.
Bernard Palmier nous a apporté un élément de réponse: nous prenons plaisir à pratiquer dans ces moments « de grâce » ou une technique se déploie dans la fluidité. Lorsque nous avons cette sensation que cela coule, lorsque nous ne formons qu’un avec le partenaire. Cette sensation même le débutant peut la connaître lorsqu’il découvre son corps en mouvement et que ce geste qu’il ne connaissait pas fait naître en lui cette sensation unique. Oh cela ne durera pour lui peut-être pas longtemps, une fraction de seconde peut-être, mais j’ai l’habitude de dire à mon cours qu’il est important que les débutants goûtent le plus tôt possible cette praline qu’est une pratique « onctueuse ». Après, le reste n’est qu’une question de persévérance et d’auto-discipline mais le pratiquant qui sait le goût de ce qu’il recherche y puisera la motiviation qui justifiera la sueur, les petites courbatures du lendemain … et pour certains, le regard critique de l’épouse ou du conjoint qui aurait préféré pour ce dimanche matin une promenade en couple en forêt !! Car l’aïkido peut devenir une passion dévorante, mais ça c’est une autre histoire!
Revenons à Bernard qui, à Nivelles, nous a décrit comment il voit l’évolution de la pratique. Le pratiquant doit d’abord découvrir les « katas » ou les formes c’est-à-dire les techniques. Il commencera par un travail statique et développera sa technique en respectant ses 3 phases: placement, déséquilibre du partenaire puis engagement du corps.
Ces 3 phases seront dans un premier temps clairement marquées pour mieux les intégrer. Puis, progressivement elles se lieront. Oubliez une des phases et la technique ne sera plus aïki. Sans placement, je me mets en danger et ne peut mettre le partenaire en mouvement. Sans déséquilibre je ne peux projeter l’uke sauf à avoir recours à des gestes en force ou des torsions inutiles.
Ce travail évolue alors vers la découverte du de-aï ou timing et son corollaire le ma-aï. Les 3 phases des techniques prennent alors un sens nouveau. Le déplacement devient élément de construction qui permet de créer un placement correct, de générer un déséquilibre adéquat puis de provoquer la chute ou l’immobilisation par le mouvement du corps.
Le pratiquant peut alors commencer à se libérer de la forme et passer de l’étude des katas à celle du waza c’est-à-dire la pratique vivante. Se développe ainsi l’exploration du mouvement à l’écoute du partenaire, dans la flexibilité. Une pratique où transparaissent ce qui fait l’essence même de l’aïkido: verticalité, déplacement, fluidité, etc.
Mais le cadre même de la pratique peut être source de distorsion. Dans l’esprit de l’aïkido, chaque technique est une occasion de rencontre. Le respect de l’intégrité physique du partenaire et de soi-même est essentielle. Les aïkidokas pratiquent dans la coopération mais cette coopération est parfois assimilée à de la complaisance. Le risque est grand alors de se créer une pratique d’illusion. Ma technique est bonne, il chute! L’étude du waza devient un leurre. Je me libère tellement bien de la forme, du kata … que ma technique ne ressemble plus à rien !!
Il est donc nécessaire de revenir à l’étude de la forme et de boucler ainsi le cercle vertueux de l’apprentissage de l’aïkido.
Bernard Palmier situe au niveau du premier et deuxième dan le niveau d’une bonne connaissance du kata avec progressivement la manifestation extérieure des qualités intrinsèques des techniques aïki. A partir du 3ème dan le pratiquant apprend à se libérer de la forme
Oui mais, et le plaisir dans tout cela ? Faut-il attendre le troisième dan ?
La bonne nouvelle c’est que la réponse est non. La pratique de l’aïkido se développe dès le premier cours. Il revient à l’enseignant de permettre au débutant de commencer un petit cercle d’apprentissage. D’abord un mouvement peu exigeant sur le plan technique que le pratiquant pourra développer pour développer les prémisses de cette sensation si particulière du mouvement qui se déroule bien, puis revenir à la forme et découvrir de nouveaux mouvements et boucler ainsi de cours en cours puis de stages en stages pour élaborer un cercle plus large qui lui-même est sans doute élément d’un autre cercle encore plus vaste.
La progression aïki est donc une succession de stades: découverte de la forme (le kata), intégration du kata en passant d’une pratique statique qui devient dynamique avec la prise en compte progressive du de-aï (le juste timing), produire et manifester les qualités contenues dans les katas puis s’en libérer (waza) pour revenir enfin à la forme que l’on redécouvre enrichi que l’on est de son acquis des cycles précédents.
Bernard Palmier insiste sur toute velléité d’imitation. Imiter un grand maître dans ses gestes c’est comme dépasser dans une file, c’est tenter d’entrer dans un niveau de maîtrise sans avoir traversé les cycles. Le corps a besoin de temps pour intégrer.
Les amateurs de résultats rapides en seront pour leurs frais. La métaphore des cercles met en évidence le fait que le chemin est plus important que la destination finale. Un cercle ne mène nulle part. Il boucle sur lui-même.
Pourtant à bien y regarder il semble évident que l’on ne revienne pas exactement au point de départ. La progression nous fait passer d’une surface plane à un espace tri-dimensionnel.
Le cercle se fait spirale et notre cheminement nous donne relief, profondeur, ou nous fait prendre de la hauteur selon les points de vue.
Certains y verront là le ressort de leur engouement pour l’aïkido !
Christian Vanhenten
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