La rencontre entre uke et tori

Réflexion à l’occasion d’une semaine de stage avec Endo senseï 
Christian Vanhenten
Article publié dans le Flash Aïkido de mai 2007

kimochi 
(sentiment, sensation)

  « Flexibilité, exploration de la rencontre entre uke et tori par la pratique de ce petit exercice en apparence anodin que l’on pourrait pratiquer pendant des mois, voire des années. »

Comment traduire en mots les sensations développées durant cette semaine de stage avec Endo senseï ? Il y a à la fois peu et beaucoup à dire, aussi ai-je pris le parti de partir de deux réflexions qui à mon sens illustrent quelques points abordés par Endo

“Vous être trop dur, trop rigide ! Il est très difficile de progresser en aïkido dans ces conditions.»

Dès le premier stage, dès les premières explications Endo senseï nous a fait remarquer que notre travail est trop dur. La pratique de l’aïkido a évolué explique-t-il et si nous voulons progresser il nous faut cesser de perpétuer des enseignements qui ont pris un coup de vieux…parce que nous aussi nous pouvons évoluer ajoute-t-il avec humour.

Cette pratique révolue se caractérise par une certaine forme de rigidité, de fermeté que l’on ressent notamment dans les bras et qui génère chez le partenaire une dureté à laquelle on répond par plus de dureté encore. Pourtant elles sont belles ces positions de bras fermes les mains tendues dans le prolongement du bras. Les mains deviennent « te-katana » ou main sabre. Ces attitudes génèrent un sentiment de confiance en soi, de solidité, de puissance indéracinable et Endo senseï les mime avec des petits grondements.

S’il parait évident qu’il ne faut rien renier de nos acquis, qu’une attitude ferme avec ce qu’il faut de martialité peut être opportune, il est important martèle Endo senseï de pouvoir les abandonner car elles limitent notre progression. L’apprentissage de l’aïkido s’effectue en traversant des stades qui chacun ont leurs propres caractéristiques. Et selon Endo il est temps de passer au stade de la flexibilité et développer cette faculté de communication corporelle où les énergies se rencontrent dans un dialogue certes asymétrique, puisque uke est en quelque sorte au service de tori, mais qui se construit dans la coopération et la recherche d’une plus grande finesse de perception du mouvement.

Endo senseï n’hésite pas à associer cette attitude dure à la manifestation d’un ego exacerbé qui n’a de cesse que de dominer, de vaincre, de s’affirmer. Et d’insister sur l’importance du travail en relation avec le partenaire. C’est entre uke et tori que cela se passe, pas uniquement chez le tori. L’exploration que propose Endo senseï est un appel à mettre de côté notre amour-propre pour nous consacrer tout entier à ce qui est en train de se passer, là, dans l’instant, entre les deux partenaires.

Endo senseï illustre son propos en expliquant que c’est dans les écoles d’arts martiaux faisant usage d’armes, telles que le ken que l’on rencontre le plus de personnes au mental élevé. L’explication réside dans le fait que le plus simple geste peut suffire pour blesser le partenaire et le pratiquant doit travailler à développer et étendre sa conscience au-delà de propre corps pour englober l’arme mais également le partenaire.

Cette conscience d’un espace plus vaste englobant le partenaire nécessite une plus grande finesse de perception qui ne peut se développer que dans la détente et la flexibilité de manière à contrôler les changements les plus subtils et agir de manière spontanée plutôt que de tout miser sur la force et la vitesse.

L’apprentissage passe donc par l’indispensable dépassement de cette étape où l’ego cherche à s’imposer, à être le centre de l’univers et néglige le partenaire réduit à l’état d’objet pour son étude. Le vrai travail commence lorsque le pratiquant se détend et s’ouvre à la relation pour agir en synergie avec l’uke.

“S’il vous plait, faites-ce que Endo senseï vous demande de faire et rien d’autre. Nous gagnerons du temps”

Pourquoi y-avait-il tant d’écoles de ken au Japon et pourquoi ont-elles disparu ?

Parce qu’il est difficile de transmettre un enseignement répond Endo senseï.

Beaucoup copient les shihan mais ne deviendront au plus que de bons facsimile. Car la source, c’est l’esprit sous-jacent, les valeurs, le ressenti du maître. Et la maîtrise technique en découle.

S’imprégner totalement de l’enseignement du maître, absorber par tous ses pores le message qu’il tente de nous transmettre et qui n’est déjà qu’un pâle reflet de ce qu’il vit lorsqu’il exécute la technique. Car le canal de communication est étroit : la vision du maître en mouvement, quelques mots traduits du japonais, des propos en anglais réduits à leur plus simple expression. C’est bien peu et l’irritation d’Endo senseï est palpable quand il constate combien le message passait difficilement.

 Lors du stage du jeudi à AMAY, Jacques Horny eut ces mots d’introduction au stage : « S’il vous plait, faites-ce que Endo senseï vous demande de faire et rien d’autre. Nous gagnerons du temps »

Avertissement pertinent à un certain niveau mais combien utopique sur le plan de la transmission d’un enseignement aussi fin, aussi profond, aussi inhabituel même que celui d’Endo senseï.

C’est vrai, il nous suffit de faire ce que les shihan nous enseignent.

Mais comment recevoir cet enseignement ?

Mon expérience dans le domaine de la modélisation des compétences m’a appris que la simple reproduction de gestes est nécessaire mais insuffisante. Endo senseï l’a souligné lors du stage de jeudi : « Faites le mouvement … Dojo …et puis prenez attention à votre ressenti après avoir exécuté ce mouvement. Ressentez-vous un bien-être, de la confusion ? Ne laissez pas passer un seul mouvement sans cette exploration intérieure. »

Quand on parle d’harmonie corps-esprit, c’est à cette condition que l’on entre dans le monde de l’aïkido tel qu’Endo senseï nous le présente.

« Faites-ce que le senseï vous demande et rien d’autre. Nous gagnerons du temps »

Consigne exigente qui nous invite à entrer dans le monde du senseï venu nous parler de son aïkido. Pendant une heure trente s’essayer à penser comme lui, à ressentir comme lui, à bouger comme lui. Plonger dans son monde sans aucune arrière-pensée, avec pour seule intention de prendre un maximum de son enseignement et de prendre le temps de le digérer en conscience, de le métaboliser pour le faire sien.

Endo senseï a plusieurs fois évoqué ces pratiquants qui viennent picorer de stage en stage, qui multiplient les senseï sans vraiment s’imprégner de ce qui leur est proposé. Ils viennent, goûtent et n’en gardent que très peu.

Selon lui nous pourrions travailler sur cette simple perception du partenaire en mouvement pendant au moins une année.

Un senseï, un objectif de travail, une idée, une recherche et ce pendant plusieurs années s’il le faut et nous pourrons avoir la chance de découvrir comment cette recherche se transforme, se nourrit par la pratique.

Regarder le senseï présenter un mouvement, reconnaître ikkyo, essuyer une goutte de transpiration, regarder l’horloge en pensant à la douche, écouter d’une oreille distraite la traduction de Bruno ou de Fabrice pendant que du regard on repère celui ou celle  avec qui on va travailler dès le signal « Dozo ! ».

 Qui ne s’est jamais laissé à cette attention diffuse ?

Peut-on parler d’une pratique aïki de l’écoute ?

Suffit-il d’observer plus ou moins attentivement en attendant de passer à l’action et de s’essayer à bien reproduire le geste ?

Je crois qu’il faut entendre le message d’Endo senseï comme une invitation à plus de présence, à plus de flexibilité corporelle … mais aussi mentale, à plus de dialogue avec le partenaire, à sortir de nos schémas habituels, de notre manière d’écouter, d’observer et d’agir au-delà de la technique.

Être dur, rigide comme le dénonce Endo senseï n’est-ce pas aussi rester dans son petit confort, travailler uniquement avec ceux avec qui l’on s’entend, ne pas s’impliquer dans la pratique et attendre que cela passe lorsque l’on n’a pas pu éviter ce débutant venu vous saluer pour travailler avec vous ?

Je pense qu’il nous revient de choisir comment nous voulons nous imprégner d’un enseignement. Il n’y a pas de mauvais choix. La seule question à se poser est celle qui se dissimule derrière la consigne de Jacques Horny: voulons-nous gagner du temps en essayant de faire ce que le senseï nous demande de faire ?

 

 

 

 

 

 

 

 

Christian Vanhenten

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