Quand Aïki rencontre Tai-Chi

Une ambiance

Une rencontre Tai-chi-chuan – Aïkido ! Voilà qui ne pouvait que m’intéresser, moi qui en quelque sorte l’avait anticipée. Je suis donc là, attendant du côté des pratiquants de Tai-chi, observant ceux d’Aïkido tous regroupés dans un coin de la salle. Nous nous mettons en ligne, salut. Nous commençons par un cours d’Aïkido.

Dès la préparation (mobilisation des articulations, étirements…) les disciples de Christian Vanhenten se dispersent parmi les novices que nous sommes (élèves de Tai Chi d’Eric Caulier) afin de nous aider dans certains mouvements.

La sauce a pris, les groupes ont éclaté ; le dialogue s’installe, l’échange s’amorce. Un peu plus tard, nous rendrons la pareille à nos invités, les initiant à notre art avec le même plaisir et dévouement dont ils font preuve à notre égard. La curiosité bientôt devient intérêt. L’envie d’apprendre le partage avec celle de faire découvrir, tout cela dans un esprit de tolérance, d’humilité, de simplicité.

Une rencontre

C’est de ça dont nous parle d’emblée Christian : une rencontre, une communication entre deux personnes.

L’une prend le poignet de l’autre. Communication non verbale ! Il faut sentir. « L’attaquant » veut-il tirer, pousser, immobiliser… ? Il se doit de donner « quelque chose » nous dit Christian, une information, une énergie afin que « l’attaqué » puisse travailler. Ce travail consiste au contraire à donner le minimum d’informations en retour. Relation déséquilibrée, mais qui s’égalera dans la réciprocité du mouvement, « l’attaqué » devenant « attaquant » et vice-versa.

Cette rencontre qui semble au départ antagoniste et qui pourrait rapidement dégénérer se transforme par le mouvement (absorption du partenaire dans notre centre et rotation circulaire) en une « promenade » où les deux partenaires (dissolution de la dualité « attaquant–attaqué ») vont dans le même sens. Magnifique !

Christian nous parlera encore de notions qui nous sont coutumières (même si on n’arrive pas toujours à les mettre toutes en pratique lors d’un mouvement !) : l’enracinement, le travail des hanches (du bassin), le travail des mains devant le centre, devant soi afin d’éviter d’être désarticulé…

Une position

C’est à partir de cette désarticulation et de son inconfort justement qu’Eric nous amène à intégrer les sensations d’aisance et de disponibilité offertes par la position de l’arbre. Ancrage, respiration, images mentales sont les maîtres-mots.

Les pieds « ventouses » accrochés au sol, assis sur notre « tabouret », au rythme de la respiration, nous gonflons et laissons réduire notre « balle », expérimentant les limites de celle-ci. Quelle impression de sentir nos bras s’ouvrir ou monter « tout seul » par la force de « l’inspir ». Merveilleux !

Eric insistera encore sur l’importance et les effets de la lenteur dans le travail : précision, détente dans l’action, recherche perpétuelle de l’équilibre, occasion de « sentir » les mouvements de compression et d’expansion de l’énergie… Il montrera que le Tai-chi se travaille aussi avec partenaire, nous invitant à appliquer souplement les notions de « pousser », « absorber », « tirer ».

Une discussion

La discussion va d’abord et surtout chercher à identifier les points de ressemblance, de rapprochement plutôt que se réduire à une comparaison qui tendrait au repli de chaque camp dans sa certitude.

Nous nous rendons compte que du point de vue technique les mêmes concepts sont mis en oeuvre : équilibre, centration, mains généralement devant soi, travail du bassin(1)… Des deux côtés, on pousse, on absorbe, on tire(2), on percute, on contrôle les articulations… Dans ces mouvements l’intention est primordiale(3). La respiration est aussi importante dans l’une et l’autre discipline. Elle est plus consciente lors d’un travail lent, a priori propre au Tai-chi, alors que l’Aïkido propose habituellement un travail plus rapide. Mais ne tirons pas là de conclusions hâtives. La lenteur est une approche essentielle qu’on peut très bien adopter en Aïkido(4). D’autre part, si la vitesse peut souvent masquer certaines « maladresses », elle n’en est pas moins, le

geste suffisamment maîtrisé, intéressante(5)… et plaisante(6). L’image mentale, omniprésente en Tai-chi(7), est utilisée dans certains dojos d’Aïkido, notamment avec les enfants, mais peut-être, dans une moindre mesure, également avec les adultes. Le partenaire est, dans tous les cas, censé être traité avec respect dans une relation d’échange (donner–recevoir) qui doit permettre aux deux protagonistes d’expérimenter et de progresser.

Que de points communs donc ! Formidable ! Quelles sont alors les différences ?

La première est la chute. Dans le travail avec partenaire, propre à l’Aïkido, on fait tomber l’autre. En tout cas, c’est ce qu’il semble. En réalité, les choses peuvent être envisagées sous un autre angle. En Aïkido, comme en Tai-chi, on cherche à conserver son équilibre, à retrouver la verticalité. Pour ce faire on se déplace, on dévie la poussée, on se « vide » (on rétrécit sa balle) ou on se « gonfle »… La chute en Aïkido n’est rien d’autre (ne devrait être rien d’autre) qu’un moyen de récupérer sa position. En quelque sorte, sous la pression d’une situation difficile, on choisit du chuter afin de conserver sa liberté.

« La pression d’une situation difficile », avons-nous dit. En effet, le partenaire nous aide non seulement en nous permettant de travailler mais encore en nous confrontant à des difficultés(8). Il représente la réalité, tantôt favorable, tantôt gênante.

Une conclusion

Commentaires après coup : « C’était vraiment intéressant », « C’était amusant ! », « J’ai beaucoup appris » … Les deux disciplines ne pourraient-elles se nourrir l’une l’autre ? Pourquoi cette rencontre si ce n’est pour se poser cette question ? Pour moi, qui pratique l’Aïkido depuis longtemps et qui suis venu au Tai-chi avec mon expérience et plein d’interrogations, la réponse est évidemment affirmative.

Le projet est lancé en tout cas de réitérer cette réunion. Super !

Merci à Christian, merci à Eric.

Une réflexion

En Aïkido, dès le début, on travaille avec partenaire. On affronte donc d’emblée cette réalité qui peut nous limiter dans notre geste, notre intention, possiblement dans notre désir d’être (ou de paraître). Des peurs peuvent alors naître : peur d’avoir mal, de faire mal, peur de ne pas être à la hauteur… Des élans agressifs peuvent répondre à des frustrations… Des fantasmes de toute puissance à des besoins d’affirmation ou à des blessures narcissiques anciennes…

Ainsi les manifestations de l’ego vicient-elles la rencontre à l’autre… et à soi. Le travail devient dur, voire brutal ou au contraire, par réaction, retenu, sans consistance, vide de sens. Cependant, elles peuvent, si on en prend conscience, être source de réflexion et s’ouvrir sur un travail de transformation intérieure.

On peut dès lors centrer son attention sur soi tout en gardant contact avec le partenaire. La rencontre avec l’autre se double d’une rencontre avec soi.

En Tai-chi-chuan, ce travail avec partenaire n’est pas premier. Le pratiquant est invité à chercher d’abord ses racines, à faire l’expérience de la respiration consciente et de son influence sur le geste. Immédiatement l’accent est mis sur la prise de conscience de ce qui se passe en soi.

Car les contraintes ici sont d’abord internes, dans les limites du corps, les carapaces défensives qu’on a inconsciemment construites, dans certains traits de la personnalité, certains « blocages » psychiques.

Le travail lent avec arrêt sur posture permet plus facilement ce regard intérieur. Il réduit, d’autre part, les possibilités de « tricherie » quant à la justesse et la précision du mouvement(9).

Le travail avec partenaire s’appuie dès lors sur des bases, en principe, déjà en construction. Mais l’absence « d’obstacles extérieurs » risque d’ouvrir le champ à nombre d’illusions sur notre efficacité : capacité à garder l’équilibre lorsque nous sommes poussés, à diriger l’énergie sans crispation lorsque nous cherchons à déplacer le partenaire…

Les deux « voies » présentent chacune avantages et risques de dérive. Il est, quelle que soit la voie choisie, une rencontre fondamentale, celle entre l’enseignant et l’apprenant. L’enseignant, que veut-il inspirer ? Que veut-il et peut-il donner, partager ? Que veut-il ou peut-il recevoir ? L’apprenant, que vient-il chercher ? Que peut-il ou veut-il recevoir ? Que peut-il ou veut-il apporter, partager ?

Henri BEHR (Elève de Tai Chi à Soignies)

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1. Le travail du bassin selon Eric va, selon moi, plus loin que le travail des hanches en Aïkido, en ce sens qu’il n’indique pas seulement la direction du déplacement, mais qu’il s’ouvre et se ferme en fonction de la posture, de l’enchaînement des postures, ce qui en toute conscience donne un autre « contenu » aux sensations (outre le fait que ce faisant il protège les genoux). Mais rien n’interdit d’appliquer consciemment ce travail en Aïkido !

2. En Aïkido, on n’aime pas tirer. On dit qu’on prolonge la poussée du partenaire. Ce qui ressemble finalement très fort à ce qu’on fait dans la poussée des mains et dès lors, j’imagine, lors des applications.

3. Mais quelle est-elle ? Pousser, absorber, percuter bien et juste ? Contrôler l’autre ? Le contraindre ?

4. Cela dépend de ce qu’on cherche… ou veut prouver.

5. Permettant au corps et à l’énergie de s’exprimer sans le « frein » de l’intellect.

6. Il suffit d’admirer une poussée des mains pour s’en convaincre.

7. Ne fût-ce que dans la dénomination des postures.

8. Il s’agit de trouver l’équilibre entre faciliter le travail de l’autre (au risque de ne pas lui permettre d’évoluer) et le rendre plus difficile (au risque de le frustrer).

9. En effet, la rapidité a tendance à cacher les petites imprécisions ou petites pertes d’équilibre…

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