Cette réflexion que l’on attribue à Morihei Ueshiba, je l’ai déjà utilisée dans mes cours pour inviter le pratiquant à tourner sur lui-même, autour de son axe, de sa verticalité. Je dis alors humoristiquement: « Profites-en, tu seras l’espace d’un instant le centre du monde! ».
Mais cette réflexion – pour autant qu’elle ait vraiment été prononcée par le fondateur de l’aïkido – que veut-elle dire exactement?
N’est-ce pas une apologie de l’ego, une exacerbation du moi-je, une crise de nombrilisme aigüe?
Si on fait quelques recherches sur internet on lit des formulations à la fois similaires et pourtant si différentes:
- être au centre de l’univers
- devenir le centre de l’univers
- ne faire qu’un avec l’univers
- je suis l’univers
- en phase (in tune) avec l’univers
Ce qui me semble être important dans cette réflexion floue, c’est la question de l’harmonie que l’on établit – ou que l’on tente de rétablir – avec l’univers, c’est-à-dire avec le monde qui nous entoure. La question n’est pas de fusionner – et donc en quelque sorte de se perdre – mais bien de se reconnecter, d’assouplir les frontières entre moi et le reste du monde.
tout le contraire d’une attitude egotique qui cherche au contraire à renforcer les barrières qui distingue le moi du reste, de tout le reste.
Si on s’attarde sur la question d’être ou de se placer au centre de l’univers c’est dans la métaphore d’un cercle qui tourne et dont le moyeu reste immobile. Mais ce n’est pas d’une immobilité corporelle qu’il s’agit, c’est, je crois, plutôt une forme de non action, celle-la même qui nous incorpore dans le mouvement global dont nous faisons partie.
Alors bien sûr il y a des moments dans la pratique de l’aïkido où le tori doit être au centre du mouvement et eentrainer l’uke (celui qui attaque) autour de lui. C’est le cas notamment dans irimi nage ura. Mais il ne s’agit pas tant de prendre une forme de dominance particulière (être LE centre du monde) que de se placer dans l’espace du non faire, du laisser agir canalisé pour amener à transformer l’attaque en rien. La rendre inutile.
Pour en revenir à la pratique proprement dite, certains semblent croire que le simple fait de se mettre au centre du mouvement, au centre de l’univers et donc de faire coïncider ce centre universel avec son propre centre (le seika tanden) permet d’amener l’attaquant à bouger autour de nous soi-disant sans effort (musculaire). Si je peux entendre cela sur un plan spirituel, c’est nettement moins évident dans la pratique proprement dite. Notre mécanique corporelle exige de mobiliser nos muscles pour initier ou entretenir tout mouvement (sauf peut être la chute due à la gravité bien entendu). Le travail avec « kokyu » ne permet pas de faire l’impasse de la mécanique qui gouverne nos corps en mouvement.
Maintenant, il est des mouvements plus économes en énergie que d’autres et l’élégance de la pratique peut parfois produire des effets surprenants.
Pour clore cette réflexion, je dirais que l’on assiste avec ce sujet, une nouvelle fois, à la difficulté de relier les paroles et le message que nous a transmis le fondateur de l’aïkido avec la pratique proprement dite.
Pris au pied de la lettre, les propos de Morihei Ueshiba engendrent des situations de pratiques qui peuvent frôler l’absurde ou le ridicule où le pratiquant travaille dans l’espoir de pouvoir un jour exécuter le « geste magique », la technique sans effort musculaire qui projette l’uke sans même l’avoir quasi touché.
On comprend dès lors que les plus rationnels d’entre nous préfèrent écarter tous les propos plus ou moins illuminés d’un fondateur que sans doute personne n’a compris et se rabattre sur le catalogue technique mis au point par son fils. Mais que reste-t-il de l’aïkido voulu par son fondateur dans ce cas ?
En ce qui me concerne, ce qui continue de me passionner dans l’aïkido, c’est ce difficile mélange entre philosophie et esprit de l’aïkido et la pratique proprement dite.
Entre l’aïkido ésotérisé et l’aïkido gymnastique, il y a une terre d’exploration qui reste encore à ce jour assez peu fréquentée. C’est sans doute là que nous pourrons nous retrouver … au centre de l’univers !